Promouvoir l’Innovation Grâce à l’Intelligence Collective dans l’Enseignement Supérieur Africain

Alors que les universités africaines doivent répondre à des attentes croissantes en matière d’innovation, relever les défis du développement et préparer des diplômés prêts pour l’avenir, la transformation institutionnelle n’est plus une option. Elle est à la fois essentielle et stratégique. Lors de la 16e Conférence générale quadriennale de l’Association des Universités Africaines (AUA), qui s’est tenue à Rabat, au Maroc, du 21 au 25 juillet 2025, deux présentations du professeur Lex Paulsen et du Dr Rachid Serraj de l’Université Mohammed VI Polytechnique (UM6P) ont offert des perspectives convaincantes sur la manière dont les universités peuvent mener cette transformation. La première, présentée par le professeur Paulsen, a introduit le modèle de planification interne de l’UM6P, Vision 2030, qui vise à redéfinir la stratégie institutionnelle par le biais d’un engagement inclusif et ascendant. La deuxième présentation, faite par le Dr Serraj, a proposé un cadre à l’échelle du continent fondé sur l’intelligence collective afin de favoriser la collaboration, l’innovation et l’impact à long terme.

Vision 2030 de l’UM6P

Pour mettre en place des établissements d’enseignement supérieur résilients en Afrique, il ne suffit pas de recourir à une planification descendante classique. Il faut adopter une approche fondée sur l’innovation, l’inclusion et l’adaptabilité. Dans un environnement mondial en rapide évolution, les universités sont confrontées à des pressions croissantes pour répondre à des défis complexes tels que les changements démographiques, la transformation numérique, les bouleversements liés à l’intelligence artificielle et l’accélération des effets du changement climatique. Pour répondre à ces exigences, il faut des établissements agiles, inclusifs et axés sur l’innovation. Cela nécessite également de nouveaux modèles de gouvernance, de collaboration et de production de connaissances qui soient alignés sur les priorités nationales et le programme de développement plus large de l’Afrique.

C’est dans ce contexte en pleine évolution que l’UM6P a conceptualisé, développé et lancé en 2023 sa vision pour 2030. Cette initiative a été conçue comme une feuille de route transformatrice visant à aligner les priorités stratégiques de l’université sur les besoins changeants du Maroc et du continent. Contrairement à la planification institutionnelle conventionnelle, la Vision 2030 de l’UM6P adopte une approche ascendante, tirant parti de l’intelligence collective de l’écosystème de l’UM6P (étudiants, professeurs, chercheurs, personnel et partenaires externes) pour co-créer une vision commune de l’avenir.

Modèle de gouvernance participative, Vision 2030 a été mise à l’honneur lors de la Conférence générale de l’AUA sur le thème « Façonner l’Avenir de l’Enseignement Supérieur pour l’Innovation et le Développement Durable en Afrique ». Le professeur Lex Paulsen, de l’École d’Intelligence Collective de l’UM6P, a fait une présentation approfondie, démontrant comment les universités africaines peuvent impliquer activement leurs communautés dans l’élaboration de stratégies réactives et réalisables.

Professeur Lex Paulsen de l’École d’intelligence collective de l’UM6P

Innovation Institutionnelle et Planification Adaptative

La Vision 2030 n’est pas un plan stratégique statique. Il s’agit d’un processus d’apprentissage continu, d’un cycle de réflexion, d’adaptation et de conception collaborative. Lancée par le cabinet du président, la vision est affinée grâce à des cycles d’examen annuels, à la prise en compte de nouvelles opportunités et à la création d’« équipes d’expérimentation » interdépartementales chargées de relever les défis les plus urgents de l’université. Cette approche garantit que la Vision 2030 reste réactive, orientée vers l’avenir et axée sur la communauté. Son objectif n’est pas simplement de définir une vision, mais de façonner une identité institutionnelle dynamique qui évolue au fil du temps. L’initiative s’inspire profondément de la science de l’intelligence collective. Elle combine la pensée divergente, qui génère des idées par le biais d’assemblées publiques, d’entretiens et d’ateliers, et la pensée convergente, qui synthétise les idées, hiérarchise les actions et crée un consensus. Cette méthodologie favorise l’inclusion, la clarté stratégique et la légitimité, permettant à l’université de rester en phase avec ses aspirations internes et le contexte externe plus large. Cette initiative a contribué à la visibilité mondiale croissante de l’UM6P, notamment à sa reconnaissance parmi les 500 meilleures universités du monde par le Times Higher Education World University Rankings, ce qui témoigne de la puissance d’une planification institutionnelle inclusive et tournée vers l’avenir, selon Khalid Baddou, chef de cabinet de l’UM6P et président de la session plénière.

L’Intelligence Collective des Universités Africaines

En référence à la Vision 2030 de l’UM6P dans son discours, le Dr Rachid Serraj a exhorté les participants à tirer parti des expériences de transformation institutionnelle et à élargir le débat à l’échelle continentale. Si les Universités africaines continuent de faire preuve d’une capacité d’innovation impressionnante, le système dans son ensemble reste limité par la fragmentation, l’insuffisance des infrastructures et le décalage persistant entre la recherche et ses applications concrètes.

Il a expliqué que de nombreux établissements ne disposent pas des laboratoires et des incubateurs nécessaires pour développer des prototypes. Moins de 5 % des brevets universitaires sont commercialisés. Ce décalage ne fait pas seulement stagner le progrès technologique, il empêche également les industries du continent de trouver les talents et les solutions dont elles ont besoin. Ce défi nécessite un nouveau modèle de coopération universitaire, fondé sur l’Intelligence Collective des Universités africaines. Plutôt que de travailler de manière isolée, les établissements doivent aligner leurs stratégies sur les priorités de développement de l’Afrique. L’objectif n’est pas simplement de partager des ressources, mais de construire des systèmes intégrés qui favorisent la production de connaissances, soutiennent l’innovation et préparent une main-d’œuvre capable de façonner l’avenir.

Pour soutenir cette ambition, l’UM6P a proposé la création d’une Alliance africaine pour la transformation HESTI (AHTA). Cette initiative envisage un cadre panafricain visant à renforcer la collaboration entre les institutions, les secteurs et les frontières, articulé autour de quatre piliers stratégiques : les universités intégrées numériquement, un moteur d’innovation continental, la future force de talents et l’alignement et l’harmonisation des politiques.

Pour que la collaboration soit couronnée de succès, des politiques favorables doivent être mises en place. Des normes harmonisées en matière d’accréditation, de mobilité, de gouvernance de la recherche et de propriété intellectuelle renforceront les partenariats institutionnels et amplifieront l’impact durable.

Selon le Dr Serraj, cette alliance s’appuie sur les travaux déjà en cours dans des institutions telles que l’UM6P. Vision 2030 en est un exemple institutionnel. La prochaine étape est une transformation panafricaine, guidée par un objectif collectif et une action coordonnée.

Dr. Serraj

Convergence des Visions, Façonner l’Avenir de l’Afrique

Les deux présentations faites lors de la première journée de la Conférence Générale reflètent un changement croissant dans la façon dont les universités africaines perçoivent leur rôle. Les universités ne sont plus seulement des centres d’enseignement et de recherche, mais sont de plus en plus reconnues comme des acteurs stratégiques dans la transformation de l’ensemble du système. La Vision 2030 de l’UM6P illustre comment une université peut se tourner vers l’intérieur pour redéfinir sa mission et vers l’extérieur pour s’aligner sur les objectifs nationaux et continentaux. L’Alliance africaine pour la transformation AHTA proposée s’appuie sur cette expérience et offre un cadre collaboratif pour l’innovation, l’intégration et le développement des talents à travers le continent.

Alors que l’Afrique s’efforce de réaliser les aspirations de l’Agenda 2063, libérer l’intelligence collective de ses universités n’est pas seulement un impératif stratégique. C’est un élément central pour concrétiser la vision de développement du continent. L’Association des universités africaines (AUA), en tant que plateforme de rassemblement et de coordination pour l’enseignement supérieur dans la région, joue un rôle essentiel dans la promotion de ce programme. En encourageant le dialogue, en renforçant les partenariats et en défendant l’innovation dans l’éducation, l’AUA permet aux établissements de passer d’une excellence isolée à un impact coordonné.

Le moment est venu de s’engager ensemble à agir. Repenser l’enseignement supérieur africain en tant que moteur de croissance inclusive et de développement durable nécessite un effort collectif. Les universités, les gouvernements, les industries et les communautés doivent s’unir pour forger un avenir ancré dans les systèmes de connaissances propres à l’Afrique. Les bases sont en place. Le moment est venu d’accélérer les progrès.